Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Légende de la Table Ronde

L'amour courtois

 

img016La courtoisie, un art de vivre et un renouveau artistique

L'amour courtois est un concept qui apparaît vers le XIIème siècle. Il est l'une des manifestations de la "courtoisie", un art de vivre nouveau qui se développe un peu partout en Europe dans les cours royales ou princières, d'où son nom.
A cette époque, l'Europe connait une période de prospérité qui permet à une partie de la population de s'enrichir et d'améliorer son existence. Le dynamisme économique et commercial donne l'occasion à la noblesse de découvrir les plaisirs du confort et du luxe et de s'épanouir dans une société plus rafinée qu'auparavant. Un nouvel art de vivre se développe alors, la richesse et la finesse que l'on trouve dans l'artisanat, les arts et la culture s'accompagne d'une recherche de raffinement et de subtilité dans les manières et les sentiments.
C'est surtout la reine Aliénor d'Aquitaine qui est à l'origine de cette évolution des moeurs. Originaire de Bordeaux, Aliénor épouse successivement le roi de France puis le roi d'Angleterre et dans un pays comme dans l'autre, elle réunit autour d'elle une cour brillante qui parage son goût pour les arts, la beauté et la courtoisie. Loin des préoccupations guerrières du début du Moyen-âge illustrées par les chansons de geste, on y parle d'amour et de poésie, on y écoute de la musique et l'on y raconte des légendes empreintes de merveilleux. 
La reine aime se divertir, en conséquence, elle protège les artistes et fait venir à sa cour des troubadours qui composent à sa demande des oeuvres d'un genre nouveau, les romans. L'amour courtois est le thème central de ces oeuvres littéraires. Alors que les chansons de gestes exaltaient l'idéal guerrier et racontaient les exploits des chevaliers sur le champ de bataille, les romans explorent d'autres thématiques. Plus centrés sur l'individu et l'imaginaire, ils évoquent plutôt des légendes merveilleuses ou des histoires d'amour tourmentées. Ils laissent une grande place à la complexité des sentiments, à la peinture de l'âme humaine,  à la subtilité des émotions.
Ainsi Aliénor d'Aquitaine favorise le renouveau de la littérature et de la créativité. Elle développe une mode plus féminine qui laisse s'exprimer la sensibilité dans les arts, comme dans la vie réelle.
Après elle, sa fille, Marie de Champagne poursuit son oeuvre. Elle aussi anime une cour où se pressent de nombreux artistes et où rayonne l'idéal courtois. C'est Marie de Champagne qui découvre le talent de Chrétien de Troyes et lui commande les oeuvres majeures qui sont parvenues jusqu'à nous.


Les codes de l'amour courtois

 

fin amorjpeg

L'amour courtois est une codification très rigoureuse des rapports entre une dame et son prétendant. Il désigne les règles à suivre avec une femme de la noblesse et explique comment la séduire. C'est une sorte de code de conduite à l'intention d'un jeune chevalier qui doit savoir parfaitement se comporter en société. Calquée sur les règles de la féodalité, la relation courtoise entre un homme et une femme ne représente rien de moins qu'un lien vassalique entre la dame de haut rang, qui représente le suzerain, et le jeune chevalier en quête d'exploits, qui représente le vassal. La relation courtoise, passionnelle et tourmentée, est en réalité une épreuve initiatique qui permet au  jeune chevalier de prouver sa vaillance et sa valeur morale.

 

 

Un sentiment qui permet de s'élever

L'amour courtois, également appelé la "fin' amor" ("amour raffiné" en ancien français), est une sublimation du sentiment amoureux et du désir. L'amour est présenté comme une sorte d'accomplissement moral qui élève l'homme, le rend plus noble et lui donne accès à des valeurs supérieures. La passion domine complètement les personnages et les pousse à se surpasser, les chevaliers, inpirés par leur bien-aimée, réalisent en leur nom des prouesses extraordinaires. En faisant passer les intérêts d'une autre avant les leurs, ils deviennent aussi plus altruistes et plus humbles, n'hésitant pas parfois, comme Lancelot, à affronter l'humiliation publique. L'amour permet donc aux chevaliers de devenir des hommes meilleurs, plus courageux, plus valeureux et plus vertueux. Il les libère en quelque sorte des sentiments vils comme la brutalité, la vanité et l'orgueil, et aussi de préoccupations terre à terre comme la quête de gloire personnelle et les plaisirs mondains. La passion amoureuse est un sentiment élitiste qui permet à ceux qui la partagent de s'élever largement au dessus du commun des mortels.

L'amour source de prouesses

C'est au nom de l'amour que les chevaliers de la Table Ronde réalisent leurs plus grands exploits. Ainsi, c'est pour libérer Guenièvre que Lancelot affronte les dangers du pont de l'épée et du royaume de Méléagant, c'est encore en pensant à elle qu'il trouve une force surhumaine pour tordre les bareaux de fer d'une fenêtre.
C'est Parce que Laudine lui a enseigné l'altuisme et la charité qu'Yvain parvient à sauver le lion, à défendre Lunette, à vaincre le géant Harpin de la Montagne, à délivrer les trois-cent demoiselles prisonnières du château de Pesme-Aventure.
L'amour enseigne aux chevaliers la philosophie du sacrifice et du don de soi : puisqu'ils aiment quelqu'un plus qu'eux même, ils n'ont aucun mal à se mettre au sevice des autres et à se consacrer à de justes causes. Pour cette raison, on les considère comme les meilleurs chevaliers car ils sont au service de la justice et défendent ceux qui ont besoin d'aide.
De ce point de vue, l'amour est souvent le point de départ d'un long parcours initiatique semé d'épreuves et de leçons qui permettent au chevalier de progresser aux yeux du monde et moralement.
Certains chevaliers, comme Gauvain n'ont pas accès à l'amour courtois ni à aucune autre forme d'élévation de l'âme. Ceux-là restent prisonniers de leur condition humaine et même s'ils ont, comme c'est le cas de Gauvain, de grandes qualités chevaleresques, ils ne deviennent pas de véritables héros. Gavain, bon vivant et séducteur invétéré, toujours en quête de gloire accomplit certes un certain nombre d'exploits, mais il reste toujours un personnage secondaire. Relégué au second plan derrière d'autres chevaliers qui, eux, ont la chance d'aller plus loin dans leur quête initiatique personnelle, Gauvain reste bloqué à un stade purement humain. Privé de sentiments qui le transcendent, Gauvain reste une excellent chevalier, sans plus.


Un amour absolu au service de la dame

 Dans la fin'amor, c'est la dame qui est le centre de toutes les attentions. Elle est toujours de haut rang et appartient à un milieu social supérieur à celui du héros, ce qui la rend d'autant plus difficile à conquérir. Ainsi, Guenièvre est une reine alors que Lancelot est un simple chevalier. Laudine est l'épouse d'un riche seigneur alors qu'Yvain n'est encore qu'un tout jeune chevalier qui cherche à faire ses preuves, et dans le roman de Tristan et Yseult, Yseult la blonde est elle aussi une reine alors que Tristan n'est que le simple messager de son oncle le roi Marc. L'amour courtois, rappelons-le, est avant tout une épreuve initiatique pour le héros, à ce titre, le parcours doit être semé d'embûches, la dévotion du prétendant n'aurait aucun sens si la dame était facile à séduire !
Autre obstacle de taille : généralement, dans les romans courtois, la femme aimée est déjà mariée, ce qui la rend encore plus inaccessible. A la difficulté sociale s'ajoute alors une difficulté morale car pour assouvir sa passion amoureuse, le héros est obligé de transgresser une règle sacrée et de trahir un ami proche ou un compagnon d'arme. Ainsi, Pour séduire Guenièvre, Lancelot doit tromper le roi Arthur, qui est son meilleur ami. Tristan, amoureux éperdu d'Yseult doit, lui, trahir son oncle et protecteur pour l'amour de sa belle. Malgré son caractère immoral, l'adultère est donc un aspect important de la relation courtoise. C'est en effet une source inépuisable de rebondissements romanesques : les amants courent sans cesse le risque d'être découverts, le secret entre dans l'équation ainsi que les notions de culpabilité et de remord qui donnent de l'épaisseur psychologique aux personnages. L'adultère pimente l'action en ajoutant encore de la difficulté à la relation amoureuse, elle rend l'intrigue d'autant plus passionnante.
On parle d'adultère car même si la dame, dans un premier temps, paraît inaccessible, elle finit cependant par succomber au charme du jeune et beau chevalier qui la courtise. En effet, dans la tradition courtoise, la relation ne reste jamais platonique. Après de nombreuses épreuves, après avoir prouvé maintes fois la profondeur de son amour, après avoir fait de nombreux sacrifices et après avoir montré sa parfaite soumission à sa dame, l'amoureux parvient enfin à conquérir le coeur de la belle et à obtenir ses faveurs. La nuit d'amour est alors vécue comme une récompense suprême.
Le triomphe du héros et le bonheur qu'il en retire sont à la hauteur des sacrifices et des obstacles qu'il a dû franchir pour réussir. Tous les sentiments qu'il éprouve lors de ces différentes étapes de la relation sont dans la démesure mais cette démesure est aussi une caractéristique de la passion courtoise. En effet, l'amour courtois ne se situe pas du tout dans un registre réaliste. On est au contraire dans le domaine de l'exceptionnel, de l'extraordinaire. Les protagonistes de ces intrigues ne sont pas des personnes banales, ce sont des héros hors du commun dotés d'une force morale, de sentiments et de traits de caractère supérieurs. La dame est exceptionnellement belle, le jeune homme exceptionnellement valeureux et les sentiments qu'ils éprouvent l'un pour l'autres sont d'une intensité qui dépasse l'imagination. La dame est pour le jeune homme l'objet d'une adoration presque mystique. Lancelot, exemple par excellence du héros courtois, est littéralement fasciné par la beauté de la reine Guenièvre, au point de perdre parfois le sens des réalités : lorsqu'il trouve par hasard un peigne avec un cheveu d'or appartenant à la reine, il tombe dans une rêverie qui s'apparente à l'extase. Pour conquérir leur bien-aimée, les chevaliers doivent aller au delà d'eux-même, réaliser au nom de l'amour des exploits que nul autre ne pourrait réussir et ne pas hésiter à affronter la honte et l'humiliation. Ces épreuves douloureuses sont le signe que leur amour est au dessus de tout. La soumission à la dame est totale et sans condition. C'est seulement à ce prix que la belle sera susceptible de céder.
Cependant, une fois que l'amour est révélé, partagé et consommé, plus rien ne peut le briser et les amants sont unis pour toujours. Seule la mort peut alors les séparer, et encore... Quelquefois, celle-ci est même un moyen de se retrouver dans l'au-delà et de trouver la paix ensemble. Ainsi, loin de les éloigner l'un de l'autre, la mort réunit définitivement Tristan et Yseult et scelle pour toujours le lien qui les rapproche.


L'amour source de souffrance

L'amour courtois, souvent contrarié est la plupart du temps une source de souffrance et de remise en question pour le héros. Au début, l'amour est sans espoir car la dame, d'un rang supérieur à celui du prétendant, a peu de chance de remarquer le jeune homme. C'est là une première source de tristesse et de désespoir car le chevalier se désole de cet amour impossible. Les choses évoluent à l'occasion des premières prouesses du héros, celui-ci s'illustre en tournoi, ou réalise un exploit quelconque qui suscite l'admiration de tous, la notoriété acquise le rend alors plus proche de la dame et celle-ci, même si elle s'en défend, n'est pas indifférente au charme du jeune homme.
Les amoureux ont ensuite l'occasion de s'avouer leurs sentiments mutuels, mais ils sont malheureux car il ne leur est pas permis de se dévoiler au grand jour. Cet amour, le plus souvent interdit, doit demeurer secret et être réprimé. Là encore, les amants souffrent beaucoup. 
La suite de la liaison est une série de malentendus, de cruelles séparations et de retrouvailles passionnées qui occasionnent chaque fois d'insupportables douleurs et d'indicibles joies. Les émotions mises en jeu dans ce type de relation sont en effet toujours très excessives. Il est fréquent que le jeune chevalier s'égarre, perde la raison et se mette à errer dans les bois pendant un certain temps. La vue d'un cheveu de leur bien-aimée les fait défaillir et divaguer, leur rappelant leur détresse morale.
Il arrive aussi que la dame, pour différentes raisons, repousse le chevalier, ainsi lorsque Lancelot vient la délivrer, la reine Guenièvre réserve un accueil très froid à son sauveur. Elle lui repproche en effet le moment d'hésitation qu'il a eu avant de monter dans la charrette d'infamie ; puisque c'était pour venir à son secours, il n'aurait pas dû réfléchir une seule seconde ! Ce moment de retenue est une faute terrible dans le code de la courtoisie et la reine ne la lui pardonnera pas facilement. Là encore, la froideur de la dame est une source de désespoir terrible pour le héros qui peut aller jusqu'à souhaiter mourir.
Lorsque la dame est loin, qu'il en est séparé, qu'elle est en danger ou qu'il la croit morte, le jeune homme est si malheureux qu'il perd le goût de vivre, le sens du danger et des réalités et parfois aussi la sensasion de douleur. la plupart du temps, il accepte cette douleur comme un sacrifice nécessaire, proportionnel à la force de son amour. Il devient alors un amant martyre au service d'une véritable idole de qui il accepte tout.
Le désespoir est une composante essentielle de la relation courtoise. D'un point de vue littéraire, le malheur du héros permet de suciter chez le lecteur empathie et compassion et de l'impliquer davantage dans l'histoire. Ces rebondissements douloureux sont aussi pour les écrivains un prétexte pour explorer et analyser les sentiments, ils développent alors une nouvelle matière littéraire basée sur la peinture des émotions.

 
Des destinées romanesques et tragiques

L'amour courtois est un thème particulièrement romanesque. Les turpitudes des amants ont d'ailleurs su intéresser les lecteurs et spectateurs de toutes les époques depuis le Moyen-âge jusqu'à nos jours. Tous les ingrédients sont en effet réunis pour tenir en haleine ceux qui se plongent dans ces intrigues : amour, amitié, trahison, mise à l'épreuve, séparation et tristesse, retrouvailles passionnées, culpabilité, remords, punition... à travers les aventures de ces personnages, ce sont tous les sentiments humains qui s'expriment et s'entremèlent. A ce titre, il est facile de s'identifier à ces héros et de se laisser porter par le flot de ces récits pleins de rebondissements. Plus les histoires sont douloureuses et tragiques, plus l'émotion suscitée est grande, ainsi, les grands héros de l'époque courtoise ont souvent des destinées tragiques.
Les deux plus grands récits courtois sont sans aucun doute l'hsitoire de Lancelot du Lac et de la reine Guenièvre et le magnifique roman de Tristan et Yseult. Dans les deux cas, l'amour entraîne les personnages dans des relations coupables qui les conduisent à la catastrophe.
Dans le roman de Tristan et Yseult, les deux jeunes gens s'éprennent l'un de l'autre après l'absoption d'un filtre d'amour. Cependant, leurs sentiments réciproques demeurent intacts même lorsque la magie cesse d'agir. Leur lien est profond, sincère et irrésistible. Il les pousse à entretenir pendant des années une relation adultère aux dépends du roi Marc de Cornouailles, époux d'Yseult et oncle de Tristan. Cette liaison, bien entendu, finit par être découverte et révélée au grand jour, obligeant Tristan et Yseult à s'enfuir dans la forêt où ils vont vivre comme des vagabonds durant trois années.  Plus tard, rattrapés par le devoir, ils vont vivre les tourments de la séparation et se résigner à partager leur existence avec d'autres. La fin de leur histoire est particulièrement tragique : trompé par une ruse de sa propre épouse, Tristan qui est gravement blessé croit qu'Yseult a refusé de revenir auprès de lui pour le soigner. Il cesse alors de lutter et se laisse mourir. Lorsqu'elle arrive à son chevet, Yseult trouve alors Tristan mort. A son tour, elle meurt de chagrin. Unis par ce funeste destin, les deux amants seront enterrés côte à côte, enfin ensemble dans la mort.
Le destin de Lancelot et Guenièvre est encore pire puisqu'ils entraînent dans leur chute tout le royaume de Bretagne. En effet lorsque leur liaison est révélée par Agravain, Mordred et la fée Morgane, c'est l'unité des chevaliers de la Table Ronde qui est mise à mal. Une scission dramatique se forme entre ceux qui soutiennent Lancelot et demandent au roi Arthur de se montrer clément, et ceux qui crient à la trahison et réclament un jugement exemplaire pour les deux amants. Ce conflit, alimenté par le perfide Mordred divise le royaume au point de faire éclater une gerre civile entre les chevaliers. Le roi Arthur meurt sur le champ de bataille et la société arthurienne s'effondre, vaincue, brisée par ses propres oppositions. Lancelot et Guenièvre finiront leur vie misérablement, séparés, chacun dans un monastère et rongés par le remord. Leur faiblesse et leur amour coupable aura provoqué non seulement à une disgrâce personnelle, mais aussi la fin d'une société toute entière. La fin de leur histoire est une réelle tragédie.

Un art dédié aux femmes qui reste à la gloire des hommes

 

amour courtois 3

Dans l'amour courtois, c'est la dame qui est au centre du jeu amoureux. Elle est l'objet de toutes les attentions, l'enjeu de toutes les épreuves du héros, mais cela ne signifie pas pour autant que la femme est réellement mise en valeur.
En effet, dans la relation courtoise, la femme est avant tout un objet. Un objet de valeur, certes, un objet de convoitise, quelque chose d'extrèmement précieux, mais si on analyse les choses en profondeur, elle n'est qu'un moyen pour le héros de prouver sa valeur. L'amour courtois assure avant tout la promotion de l'homme. A travers leurs sentiments, les hommes montrent qu'ils sont capables de se surpasser, de maîtriser leurs pulsions amoureuses et leurs désirs et de les sublimer en se mettant au service d'autrui. La relation amoureuse est à mettre en parallèle avec les règles du tournoi : dans le premier cas, le jeune chevalier apprend à maîtriser ses sentiments conformément aux codes d'honneur de la chevalerie, dans le deuxième cas, il exerce son corps et son habileté au combat. Il s'agit bien de deux aspects d'une même éducation, celle qui va conduire un jeune novice à devenir un homme et un chevalier accompli, c'est une initiation à la fois physique et morale.
Mais si l'amour est, pour le jeune homme, un terrain de jeu idéal pour prouver ses qualités chevaleresques, quel rôle joue la femme dans tout ça ? La réponse est simple, aucun. Dans la relation courtoise, la dame a une fonction purement décorative. Elle doit se contenter d'être belle et de servir de faire valoir au héros. Lorsqu'elle s'exprime, le plus souvent, c'est pour repousser le chevalier au nom de son mariage ou d'une faute qu'il aurait commise. C'est donc pour le chevalier un prétexte à l'épanchement et à l'introspection, il s'interroge, se lamente, va parfois jusqu'à devenir fou, mais ce sont toujours ses sentiments à lui que l'on décrit. La femme de l'idéal courtois, même si elle est d'un rang élévé n'a pas vraiment droit à la parole. Pire, sa parole n'a aucun intérêt, personne ne s'en soucie.
La femme courtoise n'agit pas. Elle est totalement passive. Elle attend qu'on la courtise, elle attend d'être conquise. Elle est une proie sans défense qui se fait enlever et que l'on vient secourir avec héroïsme. Elle ne se rebelle pas, elle ne cherche pas à s'enfuir ou à se défendre, elle attend simplement qu'on vienne la délivrer. Il est certain que, de cette façon, elle ne risque pas de faire de l'ombre au héros.
Dans la société arthurienne, la femme qui correspond le mieux à l'idéal courtois est la reine Guenièvre, magnifique et parfaitement passive. Cependant, la plupart des femmes de la légende sont très éloignées de l'image lisse et épurée de l'héroïne courtoise : la fée Morgane, la dame du Lac, Laudine ou encore la servante Lunette sont des femmes puissantes, intelligentes et actives. Souvent dotées de pouvoirs magiques, elles interviennent dans l'ombre, prennent des décisions et sont maîtresses de leur destin, toutefois, ces femmes sont rarement au centre d'une histoire d'amour chevaleresque. L'héroïne courtoise ne peut être qu'une demoiselle en détresse, comme si pouvoir et amour étaient, pour une dame, parfaitement incompatibles. Une femme détenant un pouvoir quelconque ne peut pas être aimée par un chevalier. Ainsi, Morgane ne connait aucune relation amoureuse heureuse et Viviane, la dame du Lac entretient avec Merlin une relation d'égal à égal qui échappe complètement aux codes de la courtoisie. Ces personnages sont en réalité des héritages de la culture celtique où la femme n'avait pas du tout le même statut social qu'à l'époque médiévale, en conséquence, elles sont des figures incontournables de la légende dans laquelle elles jouent un rôle certain, mais elles restent marginales et loin de la société des hommes dont elles ne respectent pas les règles.
Il existe cependant deux exceptions à cette règle :
- Laudine, la femme d'Yvain est une femme de caractère, maîtresse en sa demeure. C'est elle qui décide d'offrir, ou non, le pouvoir de la fontaine à l'élu de son coeur, c'est elle également qui décide qui sera son protecteur, et c'est elle, enfin qui impose ses règles à son époux. Malheur à lui s'il les enfreint ! Yvain en fait la triste expérience lorsqu'il ne respecte pas le délai imposé par sa dame pour la rejoindre sur ses terres. Laudine le chasse, tout simplement, et lui refuse l'accès à son domaine magique. Yvain devient tout bonnement incapable de retrouver le chemin qui y mène. Il lui faudra des années et un long parcours de rédemption pour que Laudine accepte de lui pardonner et qu'elle lui ouvre de nouveau les portes de son château et de son coeur.
- Yseult la blonde est une autre exception. Très intelligente et très fine en plus d'être belle, elle garde elle aussi tant qu'elle le peut la maîtrise de son destin. Experte dans l'art de l'éloquence, elle utilise parfaitement le langage et toutes ses ambiguïtés et parvient ainsi à manipuler son entourage pour se sortir des situations difficiles. Elle est l'une des rares héroïnes médiévales à sauver la vie de son amant au moins aussi souvent qu'il ne sauve la sienne. L'amour qu'elle porte à Tristan est d'une parfaite réciprocité et il exige d'elle autant de sacrifices qu'à lui, en cela, elle est l'une des seules figures courtoises qui ne se contente pas d'être un simple faire valoir pour le héros. De par son caractère résolu et ses actions fortes, Yseult se rapproche de figures plus marginales comme la fée Morgane ou la fée Viviane et elle est la seule princesse de l'univers arthurien à posséder ces caractéristiques de femme de caractère.

Publicité
Publicité
Publicité