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Légende de la Table Ronde

Le Graal, quête mystique et initiatique

Qu'est-ce que le Graal ?

Le Graal est l'un des objets les plus mythiques et les plus mystiques de la légende arthurienne. Son symbolisme est multiple et a beaucoup évolué avec le temps.

Etymologie :
Le mot Graal est un nom commun qui vient probablement du latin médiéval "gradalis" qui signifie "plat large et creux". Ce mot vient lui-même du bas latin "cratalis"qui signifie "vase".

A quoi ressemble le Graal ?
C'est bien là le problème. La plupart des auteurs médiévaux en ont donné une description différente. Il existe cependant quelques points communs : d'abord, quelle que soit la version, le Graal est toujours un récipient destiné à contenir de la nourriture ou des boissons, c'est un ustensile que l'on utilise lors des repas. Par ailleurs il s'agit toujours d'un objet magnifique, splendidement orné. Il est en or, décoré de pierres précieuses et il dégage une extraordinaire lumière, vraisemblablement surnaturelle.

Chez Chrétien de Troyes, le Graal ressemble plutôt à un plat assez large et creux proche d'une écuelle. L'auteur précise que c'est un plat plutôt destiné à servir des poissons, sans doute un met de choix à l'époque médiévale.
Chez Robert de Boron, un peu plus tard, le Graal a déjà la forme qui nous est familière aujourd'hui, celle d'une coupe en métal précieux, richement ornée. C'est l'image de la coupe lithurgique que l'on utilise au moment de l'Eucharistie (c'est à dire pendant la messe, dans la tradition chrétienne).
Chez certains auteurs plus tardifs, il arrive que le Graal soit représenté par une corne d'abondance flottant dans les airs ou par une coupe entièrement faite d'émeraude, pierre précieuse liée à la chute des anges. Cependant, c'est plutôt l'image d'un magnifique calice orné de pierres précieuses qui est parvenue jusqu'à nous et que l'on se représente spontanément lorque l'on pense au Saint Graal.

 

Un objet tout droit venu de la mythologie celtique

A l'origine, le Graal ne s'apparente pas du tout à une sainte relique. Ce n'est d'ailleurs qu'à partir de la fin du XIIème siècle que Robert de Boron lui donne le nom de Saint Graal. Avant ça, ce mystérieux objet n'était pas du tout associé à une quelconque tradition chrétienne. En réalité, le motif du Graal, récipient miraculeux au contenu inépuisable est un symbole mythologique très ancien que l'on retrouve dans de nombreuses civilisations issues de la culture indo-européenne. Chez les Grecs et les Romains, par exemple, il existe la fameuse corne d'abondance, et dans la mythologie celtique, celle qui nous intéresse puisqu'elle est à l'origine de la légende du roi Arthur, on trouve également le thème du chaudron magique.
En voici deux exemples : d'abord il existe le chaudron du dieu-druide irlandais nommé Dagda. Cet ustensile possède plusieurs pouvoirs magiques. Chaudron d'abondance, il ne se vide jamais et est capable de produire assez de nourriture pour un millier d'hommes. Talisman d'immortalité, il a aussi le pouvoir de ressusciter les guerriers morts au combat. Dans une autre légende, galloise cette fois, la déesse magicienne Keridwen possède un chaudron de connaissance. Une seule goutte de la potion qu'il contient peut donner à celui qui la consomme toute le savoir du monde.

Le chaudron est donc un élément très important dans la mythologie celtique, il symbolise l'abondance et la résurrection, mais aussi la souveraineté car il appartient presque toujours à une personne de pouvoir (roi, dieu ou déesse).
Le Graal de la légende arthurienne a de nombreux points commun avec les récipients merveilleux des légendes celtes. A l'instar d'un chaudron magique, le Graal prodigue de la nourriture en abondance même en temps de famine. Il assure la subsistance à tout le château du Roi Pêcheur. La première fois que Perceval l'aperçoit, c'est lors d'un repas et à son passage, la table se couvre de mets dignes d'un festin. On retrouve bien là l'image de la corne d'abondance, du récipient surnaturel qui fournit, par magie, une quantité inépuisable de nourriture.

 

Avec Chrétien de Troyes, une première christianisation

C'est chez le clerc champenois que l'on trouve les premières associations du Graal avec des éléments chrétiens.
Chrétien de Troyes ne cherche pas forcément à effacer l'héritage celtique de la légende. D'ailleurs, il ne tente pas vraiment de donner une explication quelconque au mystère du Graal et ce qui se déroule dans le château du Roi Pêcheur s'apparente davantage à une scène issue de l'imaginaire celtique qu'à une cérémonie chrétienne. Il est en effet question d'une lance qui saigne et d'un récipient magique qui fait apparaître de la nourriture par enchantement... bref, on est très loin de l'iconographie traditionnelle véhiculée par l'Eglise. La Blessure du Roi Pêcheur, causée par la lance magique qui saigne et qui peut être guérie par une simple question n'a elle non plus rien à voir avec la tradition chrétienne, tout comme la malédiction qui s'abat sur les terres du Roi Pêcheur. Enfin, le château du Graal qui apparaît et disparaît comme par enchantement au gré des circonstances fait lui aussi partie des motifs merveilleux tirés de l'imaginaire celtique qui existait déjà avant l'avènement du christianisme.
Toutefois, par de petites touches discrètes, Chrétien de Troyes commence tout doucement à rapprocher le Graal de la tradition chrétienne. Il associe pour la première fois le mystère du Graal à la pureté et à l'absence de péché. Seul un chevalier au coeur pur ayant fait pénitence de toutes ses fautes peut avoir une chance de retrouver le château du Roi Pêcheur. Ainsi, lorsque Perceval assiste pour la première fois au cortège du Graal, s'il ne parvient pas à poser les questions qu'il faut, c'est parce que son âme est entâchée par un péché : l'abandon de sa mère. Il ne pourra conquérir le Graal qu'après une longue errance de regrets et de pénitence.
Chrétien de Troyes suggère également que le Graal contient une hostie dont le père du Roi Pêcheur, un saint homme,  se nourrit exclusivement. Il laisse donc entendre que le Graal a une dimension sacrée et que la magie qu'il véhicule a une origine divine céleste.

Avec Robert de Boron, le Graal prend sa place dans une tradition chrétienne

Dès la fin du XIIème siècle, avec Robert de Boron, l'interprétation chrétienne du mythe du Graal est mise au premier plan. En effet, dans une trilogie en prose, l'auteur retrace toute l'histoire du Graal en l'intégrant dans la tradition chrétienne symbolique et historique.
Le premier volet de la trilogie, l'Estoire del Saint Graal, dont le héros est Joseph d'Arimathie, raconte que le Saint Graal est le calice qui a recueilli le sang du Christ au moment de sa crucifixion. Joseph d'Arimathie aurait ensuite quitté la Terre Sainte en emportant la relique et se serait rendu en Bretagne, bien avant le début du règne d'Arthur. Le saint homme aurait ensuite confié à ses descendants la mission de veiller sur le Graal génération après génération. Robert de Boron nous apprend que Perceval appartient à cette lignée et qu'il est donc l'héritier de cette mission sacrée.
D'autre éléments du cortège du Graal sont également christianisés : la lance qui saigne est assimilée avec celle qui a percé le flanc de Jésus, le tailloir (autrement dit le plateau d'argent qui suit le Graal) représente quant à lui le ciboire qui sert à présenter l'hostie lors de la cérémonie de l'eucharistie. Enfin, la lumière brillante qui se dégage du cortège est due à la présence du mystique du Christ.

Chez Robert de Boron, la quête du Graal est donc un accomplissement spirituel pour les chevaliers la Table Ronde. Ces derniers, après avoir accompli de nombreux exploits chevaleresques pour la gloire et la fortune sont invités à se tourner vers des préoccupations moins matérielles et à s'ouvrir à des valeurs plus morales, plus profondes et moins individuelles.

 

A partir du XIIIème siècle, la dimension chrétienne s'impose

Les romans du XIIIème siècles vont encore plus loin dans l'élaboration d'une explication mystique à la quête du Graal. Rappelons qu'au moins l'un de ces ouvrages, La Queste du Saint Graal, a vraisemblablement été écrit par un moine cistercien au moment des croisades, cela explique cette volonté profonde de christianiser tous les éléments merveilleux de la légende.
Les différents auteurs du Cycle du Graal ont bien entendu conservé l'explication historique de Robert de Boron concernant la nature du Graal : ce dernier est bien le calice ayant reçu le sang du Christ. Mais cette fois les précieux objets qui constituent le cortège du Graal sont assimilés à ceux dans lesquels le Christ a pris son dernier repas. Le service du Graal est alors associé à l'image de la Cène.
Ce rituel eucharistique établit en outre une distinction entre les hommes justes, purs, élus de Dieu qui sont autorisés à approcher la sainte relique, et les hommes ordinaires, simples pécheurs, pour qui ce mystère reste inaccessible.

Avec la création du chevalier Galaad, la quête du Graal prend une dimension encore plus mystique. En effet Galaad est une véritable figure christique qui incarne l'idéal de pureté et d'humilité véhiculé par l'Eglise médiévale. N'ayant jamais commis aucun péché, vierge et totalement abstinent, c'est lui qui parachève la quête du Graal dans une apothéose céleste.
Tout commence le jour même de son arrivée à la cour du roi Arthur. Galaad parvient à s'assoir sur le siège périlleux, le treizième siège de la Table Ronde, sur lequel aucun autre chevalier ne peut siéger sous peine de provoquer une catastrophe apocalyptique. L'auteur suggère donc que la Table Ronde compte treize sièges, exactement comme la table de la Cène où le Christ a pris son dernier repas et a révélé aux hommes le rituel eucharistique. On associe donc les chevaliers de la Table Ronde à Jésus entouré des douze apôtres. 
Lorsque Galaad s'assoit sur le siège, le Graal apparaît miraculeusement devant l'assemblée au centre de la table, cette intervention divine marque, selon les auteurs de cette époque, le véritable commencement de la quête du Graal, quête mystique présentée là encore comme l'accomplissement ultime de la Table Ronde. Contrairement aux versions antérieures de l'histoire, cette fois, la quête est collective et non pas individuelle. Le but n'étant pas d'acquérir une gloire personnelle mais de permettre à toute la société Arthurienne de s'élever au dessus des valeurs humaines et matérielles. Les chevaliers doivent donc renoncer aux plaisirs  terrestres pour se tourner vers le renoncement et la quête du salut éternel. Avec la quête du Graal, les chevaliers ne doivent plus se battre pour être des héros, mais pour devenir des saints, modèles de piété et de vertu et missionnaires de la foi chrétienne à l'image des apôtres. Un seul des chevaliers de la Table Ronde parvient au bout de ce chemin spirituel, il s'agit bien sûr de Galaad. Lui seul est digne du Graal. Le reste de la société arthurienne, rongée par le péché et la corruption ne peut accéder à ce mystère, ainsi, à la mort de Galaad, emporté par les anges après avoir pu contempler, à l'intérieur du Saint Graal, le mystère de l'incarnation du Christ, le Graal disparaît, rappelé par Dieu, condamnant le royaume d'Arthur à l'éffondrement et à la destruction.

 

 Symbolique de la quête du Graal dans la légende arthurienne.

La quête du Graal est le dernier exploit que tentent d'accomplir les chevaliers de la Table Ronde. A ce titre, est l'accomplissement ultime de l'idéal de la Table Ronde, mais qu'est-ce que cela symbolise réellement ?

Le Graal, symbole de l'adoption d'une nouvelle religion en Bretagne

La mission du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde se présente dès le départ comme une oeuvre civilisatrice : il s'agit en effet de faire rayonner aux quatre coins de la Bretagne l'idéal chevaleresque de la société féodale et les valeurs chrétiennes. Or, la Bretagne est une terre où les croyances païennes et les cultes celtiques sont restés vivaces très longtemps et où la religion chrétienne a eu du mal à s'implanter.
La légende du roi Arthur illustre ce conflit religieux.
Entre les mains des clercs du Moyen-âge, on peut même parler d'un instrument de propagande. En effet, pour les gens du XIIème siècle où ces textes ont été rédigés, la période celtique païenne, est perçue comme une époque barbare où régnaient chaos et sauvagerie. Quant à la religion des celtes qui laisse une grande place à la magie, à la sorcellerie et aux mystères de la nature, elle est considérée au mieux comme un ensemble de superstitions et au pire, comme une hérésie démoniaque. Le symbole du Graal a été utilisé pour marquer l’avènement définitif du christianisme en Bretagne.
La quête du Graal concrétise le passage d'une époque à une autre, la transition entre ces deux religions très différentes. La découverte du Graal marque la fin des « temps aventureux », la fin des « merveilles de Bretagne ». Cela signifie que la lumière du Graal a fait disparaître tous les monstres démoniaques et autres esprits maléfiques, autrefois vénérés, qui peuplaient les forêts de Bretagne. L’Eglise a vaincu la magie.

Désormais, le monde sera dominé par la raison, la foi et les vertus religieuses, les anciennes croyances reléguées au rang de contes pour enfants. Les chevaliers se battront pour défendre la foi (rappelons que l’on se trouve exactement à l’époque des croisades), et non plus pour vaincre des créatures diaboliques, ces dernières ayant été balayées par la lumière divine du Graal.
D’ailleurs, une fois le Graal retrouvé, une fois que Galaad, à l’image du christ, a donné à cette société chevaleresque la dimension sacrée et spirituelle à laquelle elle aspirait, la société arthurienne, qui a rempli sa mission n’a plus aucune raison d’être. Il n’y a plus de monstres à pourchasser, plus de terres sauvages à conquérir et à christianiser, sa disparition est donc inéluctable. Avec la mort du roi Arthur, l’univers de la Table Ronde se disloque et disparaît, le temps des héros et des aventures extraordinaires est terminé.

 

 

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