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Légende de la Table Ronde

Mordred le félon

Une naissance sous le signe de l'infâmie

Officiellement, Mordred est le neveu du roi Arthur, fils de Mogause, l'une des demi-soeurs du roi et épouse du roi Lot d'Orcanie. Mais en réalité, sa naissance cache un terrible secret, car le père de Mordred n'est pas le roi Lot mais Arthur lui-même. Lorsqu'il n'était qu'un humble écuyer, le jeune Arthur s'est laissé séduire par la femme du roi d'Orcanie, il a passé la nuit avec elle, ignorant qu'elle était sa demi-soeur Morgause. Mordred a donc été engendré au cours d'une relation incestueuse.
De ce fait, Mordred est un chevalier maudit dont la naissance porte le poids de l'infâmie.

Dans les textes du XIIIème siècle - qui sont aussi les plus misogynes - le personnage de Morgause a fusionné avec celui de Morgane. Les clercs ont fait d'elle un personnage d'une grande noirceur et d'une grande perversité, animée des plus sombres desseins et prête à tout pour parvenir à ses fins. Dans cette version, Morgane séduit le roi Arthur par traîtrise et lui fait un enfant volontairement afin de précipiter la chute du royaume. La fée Morgane est ainsi érigée en contre-exemple de l'idéal féminin, elle devient la personnification du mal et transmet cette caractéristique à son fils Mordred.
La légende de la Table Ronde est un récit composite
, fait de multiples ajouts et de nombreuses interprétations. Les moines qui ont rédigé ces textes tardifs ont donc en toute légitimité apporté leur vision des choses. Dans leur souci d'édifier le lecteur et de faire de leurs récits des histoires empreintes de morale, il était important d'un point de vue littéraire de construire un personnage manichéen absolument négatif comme Morgane et de lui attribuer tous les péchés commis par des femmes. Cependant, il est important de mettre en évidence certains éléments qui tendent à contredire la filiation entre Morgane et Mordred. Morgane en effet n'a aucun lien avec l'Orcanie, elle est duchesse de Tintagel et femme du roi Urien, en aucun cas, elle n'est l'épouse de Lot d'Orcanie. Elle n'a d'ailleurs aucun lien avec ce petit royaume perdu au nord de l'Ecosse, or, c'est dans ce pays que naît et grandit Mordred. En outre, les textes précisent bien que Mordred est le frère de Gauvain, Gahéris, Gareth et Agravain, et ces derniers ne sont en aucun cas les fils de Morgane. Enfin, Mordred n'apparaît dans aucun des endroits fréquentés par la magicienne : ni la forêt de Brocéliande, ni Tintagel. Le lien maternel entre Morgane et Mordred est donc en toute logique assez improbable.

Dans certaines versions, la femme de Lot d'Orcanie s'appelle Anna et non pas Morgause. Selon les textes, Anna est la soeur cadette d'Arthur, une fille mise au monde par Ygerne après son mariage avec le roi Uter Pendragon. Morgause, elle, est la demi-soeur du roi. Fille de Gorlois de Cornouailles et d'Ygerne, elle est bien plus âgée que lui.
Qui que soit sa mère, Mordred est frappé d'une double infâmie : d'une part, il est un bâtard, c'est à dire qu'il a été conçu dans l'adultère, hors des liens sacrés du mariage, cela lui ôte toute légitimité pour prétendre à un héritage ou à un titre de noblesse. Cette naissance l'exclut donc d'emblée de la société arthurienne qui se définit, entre autre, par le lignage ; d'autre part, il est le fruit d'une union sacrilège, universellement condamnée et contre-nature. Mordred a été engendré dans la perversion, perversion que l'on retrouve dans son caractère.
Dernier point concernant sa famille : par sa mère, Mordred est le demi-frère des chevaliers Gauvain, Gahéris, Gareth et Agravain, mais il a très peu de points communs avec eux, sauf peut-être avec Agravain, dit l'orgueilleux, qui est le moins vaillant et le plus fourbe de la fratrie. D'une façon générale, il ne partage pas les mêmes valeurs que ses frères et n'est pas à la hauteur de leurs qualités morales.

 

Enfance et jeunesse

Dans toutes les versions, Mordred grandit dans le petit royaume insulaire d'Orcanie, loin de son père Arthur qui ignore son existence jusqu'à ce qu'il se présente à la cour de Camelot, déjà adulte. Il est élevé par sa mère Morgause (ou Anna) qui se charge de son éducation.
Morgause est un personnage trouble dont on ignore les intentions. On ne sait pas si c'est par ignorance ou par volonté de nuire qu'elle a couché avec son propre frère, toujours est-il qu'elle ne transmet pas à son fils
les valeurs habituelles de la chevalerie, à savoir l'honnêteté, le courage, la loyauté et la vertu. Certes, elle fait enseigner à son fils l'art de la guerre dans lequel il excelle, elle lui apprend aussi les codes de la courtoisie, mais elle fait de Mordred un être fourbe, envieux, calculateur et cynique. Marqué par l'infâmie qui a marqué sa naissance, Mordred se construit dans la haine de son père et de la société arthurienne dont il se sent exclu en raison de ses origines douteuses.
Le jeune Mordred se montre prometteur, c'est un beau garçon, intelligent qui s'illustre dans tous les domaines, mais son âme est sombre, nourrie de rancoeur et de frustrations. Il n'ignore pas qu'il est le fils unique du roi et sait quelle devrait être sa condition. Il aspire à vivre comme un prince, rêve d'hériter de Camelot, chose à laquelle il ne peut pourtant pas prétendre en raison de sa naissance illégitime. Mordred ne peut résoudre à être le dernier rejeton du modeste roi d'Orcanie, d'autant plus qu'en tant que cinquième fils, à quoi pourra bien se résumer son héritage ?
A aucun moment, Mordred ne songe à s'élever de façon honorable, grâce à son mérite ou ses efforts. Pétri d'orgueil, Il estime que la gloire et la reconnaissance sont un dû auquel il a droit de par sa filiation.
Contrairement aux autres chevaliers de la Table Ronde, Mordred ne fait jamais d'examen de conscience. Il ne cherche pas à s'améliorer. Il se contente d'exiger ce à quoi il pense avoir droit.

 

Les sombres desseins de Mordred

Encouragé par sa mère, Mordred a des ambitions démesurées. Son objectif ultime est tout simplement de devenir roi, et pour cela, il est prêt à tout. Pour atteindre son but il a d'abord besoin d'être reconnu par son véritable père. Il espère ainsi pouvoir lui succéder. Après tout, Arthur lui-même n'est-il pas monté sur le trône de façon inhabituelle ? Arthur n'était-il pas le bâtard d'Uter Pendragon ? Mordred sait bien que la reine Guenièvre n'a jamais pu donner de fils à son époux, il sait qu'Arthur n'a pas d'autre enfant que lui, ainsi à ses yeux, le trône devrait lui revenir de droit, malgré son illégitimité. En outre, Mordred connaît bien les qualités humaines de son père, il sait qu'il n'hésitera pas à le reconnaître comme son fils, soucieux de ses responsabilités et mû par son sens du devoir. Mordred considère l'honnêteté et les valeurs morales de son père comme des faiblesses dont il pourra tirer profit. Il est certain qu'il obtiendra de lui la reconnaissance qui lui revient. Et il a raison.
Toutefois, même si Arthur finit par le reconnaître comme son héritier, Mordred n'a pas l'intention d'attendre trop longtemps pour monter sur le trône. Il n'envisage pas de patienter sagement jusqu'au décès de son père, au contraire, il espère jouir rapidement de ses privilèges. Pour accélerer les choses, il n'hésitera pas à déclencher des conflits fratricides afin de se débarrasser de la présence encombrante du roi.

Mordred à la cour du roi Arthur

Lorsque Mordred arrive à Camelot, son père Arthur est un roi vieillissant qui n'a plus l'énergie qui l'animait lors de la fondation de la Table Ronde. La société arthurienne toute entière est affaiblie, usée par la quête du Graal qui a épuisé une bonne partie des ressources et de la jeunesse du royaume. Cette quête désormais achevée, les chevaliers n'ont plus d'idéal vers lequel se tourner, plus d'exploits à accomplir. Les dragons, les fées et autre créatures maléfiques ont disparu de la Bretagne, il n'y a plus de noble cause pour laquelle se battre. On s'ennuie donc ferme à Camelot. Les chevaliers se consacrent à des tournois et à toute sorte de jeux guerriers, mais il faut bien se rendre à l'évidence, le monde de la Table Ronde est déjà sur le déclin. C'est un contexte idéal pour Mordred qui pourra tout à loisir distiller son venin dans cette assemblée de héros désoeuvrés. Comme prévu, Arthur qui en dépit de sa vieillesse n'a rien perdu de ses qualités morales, accueille son fils avec tous les honneurs. Il assume son erreur passée et n'en rend pas Mordred responsable. Il le présente donc à la cour comme son neveu, le fait adouber chevalier et lui accorde une place de choix à la Table Ronde. Le jeune homme s'intègre rapidement et, dans un premier temps, sait se faire apprécier, mais il est vite rattrapé par ses vices. Lorsqu'il participe aux tournois, il triche la plupart du temps et ne respecte presque jamais le code d'honneur qui régit ces compétitions, en conséquence, il acquiert une réputation de fourbe et de mauvais perdant. Mordred est aussi un séducteur qui s'embarrasse peu des règles de moralité. Bel homme, il plaît aux dames et son air ténébreux lui assure bon nombre de conquêtes. Qu'importe si ces femmes sont ou non mariées, cela n'a aucune importance pour ce jeune homme perfide. Bientôt détesté par de nombreux autres chevaliers, cela ne l'empêche pas de garder une certaine influence sur la cour car Mordred le sans scrupules a aussi beaucoup de charisme, il excelle dans l'art de semer la zizanie, de monter les gens les uns contre les autres. Il aura très vite l'occasion de montrer toute l'ampleur de son talent.

La fin de la société arthurienne

Lancelot et Guenièvre vont donner à Mordred l'opportunité de faire naître un conflit majeur. Les deux amants n'ont jamais eu la force de rompre leurs liens et de mettre fin à une relation adultère qui dure depuis de nombreuses années. Lorsque Agravain et Morgane révèlent à Arthur leur liaison, Mordred va se faire un plaisir d'attiser les braises de la discorde. Il va exiger du roi, plutôt porté à l'indulgence, qu'il punisse sévèrement les coupables. Deux clans vont alors s'affronter au coeur même de Camelot : celui des amis de Lancelot et celui de ceux qui, à l'instar de Mordred, souhaitent une justice implacable.
Mordred a le droit de son côté. Il assure que le roi ne doit pas faire preuve de favoritisme parce que Lancelot est son meilleur ami. Il réclame au contraire un châtiment exemplaire. Arthur, toujours soucieux d'être impartial et de faire respecter les lois finit par céder : il condamne Guenièvre au bûcher et fait emprisonner Lancelot. Ce dernier parvient à s'échapper. Il tue Agravain et Gareth et délivre la reine in-extremis. Tous deux s'enfuient alors et se réfugient à la Joyeuse Garde, le château de Lancelot. Les amants sont sauvés mais la guerre civile est imminente. La société est profondément divisée et son avenir est compromis.
Une guerre sans merci éclate entre les partisans de Lancelot et ceux d'arthur. De nombreuses victimes sont à déplorer, cependant, la venue d'un nouvel ennemi, en Gaule et les recommandations du Pape  poussent les deux amis à se réconcilier, ou tout du moins, à stopper ce conflit fratricide. Arthur accepte que Guenièvre revienne à la cour. La Table Ronde est sauvée pour cette fois, mais ce n'est qu'un sursis de courte durée.
Arthur se lance dans une campagne en Gaule contre l'empereur de Rome. Il confie le pouvoir à celui qui, selon toute vraisemblance sera son héritier : Mordred. C'est un très mauvais choix car le jeune homme qui a échoué une première fois à plonger le pays dans le chaos ne compte pas en rester là. Il profite donc de l'absence du roi pour s'emparer du pouvoir et emprisonne Guenièvre dans une tour. Il envisage de de l'épouser quand il aura tué son père, espérant ainsi usurper sa place aussi bien physiquement que symboliquement.
Arthur revient alors défendre son trône. Ses fidèles vassaux et lui même se préparent à attaquer Mordred et son armée. Malgré leurs différents, Lancelot se range une dernière fois aux côtés d'Arthur, son ami de toujours.
Une terrible bataille va alors mettre fin pour toujours au bel idéal de la Table Ronde, elle a lieu sur la plaine de Salisbury. C'est la bataille de Calmann. Alors que les derniers chevaliers s'entretuent sur le champ de bataille, Arthur et Mordred se retrouvent face à face. Le père et le fils doivent s'affronter jusqu'à la mort. Au terme d'un combat sans merci, Arthur finit par tuer Mordred, mais il a été mortellement blessé par le félon.
Alors qu'il agonise, Arthur demande à Girflet, l'un des derniers survivants et l'un de ses plus fidèles compagnons de jeter son épée Excalibur dans le Lac afin de la rendre à sa véritable propriétaire, la dame du Lac. Il en sera ainsi fini pour toujours des Merveilles de Bretagne.
Pour finir, Morgane la fée émerge des brumes du lac et arrive lentement, debout sur une barge. Elle vient emporter son frère mourant pour le conduire dans l'Autre Monde, en Avalon, séjour des défunts et des héros de légende.
Ainsi s'achève le brillant règne du roi Arthur.

Personne ne songe à pleurer le traître Mordred, mais celui-ci est pourtant parvenu à atteindre son but : détruire purement et simplement l'oeuvre de son père, détruire pour toujours la société de la Table Ronde.


Mordred dans les textes médiévaux

L'existence de Mordred est attestée dès les plus anciens textes mythologiques celtiques. Il est désigné comme un traître et le fils illégitime d'Arthur dès l'Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth.
Dans l'imaginaire collectif, il est perçu depuis cette époque comme l'archétype du chevalier félon, du traître perfide sans foi ni loi qui privilégie son intérêt personnel, son ambition et son désir de vengeance au détriment de l'intérêt général. Dans l'univers manichéen du Moyen-Âge, il est un chevalier noir, plein de vice et dénué des plus élémentaires valeurs morales. Son physique ténébreux et son caractère reflètent les conditions infâmantes de sa naissance, comme si Mordred avait été dès l'origine prédestiné et conçu pour se consacrer au mal.
Mordred est un personnage inventé pour être détesté, cependant, son rôle dans la légende est tout à fait primordial, c'est lui en effet qui a pour mission de clore l'histoire. Son statut de "méchant" fait de lui un excellent faire valoir au roi Arthur, sa bassesse morale met en lumière la grandeur d'Arthur et donne à leur combat final une portée symbolique d'autant plus importante. Il ne s'agit pas seulement d'un combat entre deux chevaliers, c'est un affrontement entre un père et un fils, le premier symbolisant le bien, et l'autre le mal. Grâce à cet épisode final, l'épopée de la Table Ronde s'achève dans un dénouement sublime.

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